Ils racontent la manif de Nantes de l'intérieur

Sa page

Témoignages inédits. On entend tout et son contraire sur la manifestation anti-aéroport de Notre-Dame-des-Landes qui s'est déroulée à Nantes, samedi. Du nombre de manifestants à l'identité de ceux qui se sont opposés violemment à la police, tout est nature à controverses. Comme trop souvent, seuls les acteurs institutionnels ont le droit de s'exprimer dans l'arène médiatique. Ministère de l'Intérieur, partis, associations pro et anti-aéroport et mairie s'affrontent dans une bataille de communication qui dessert la compréhension des faits. Or, j'ai le sentiment que ce qui s'est produit est éminemment plus complexe que ce que Patrick Rimbert (maire de Nantes), Manuel Valls, Cécile Duflot ou Julien Durand (président de l'Acipa) peuvent ou veulent bien admettre. J'ai voulu comprendre ce qui se cache derrière les images sensationnelles d'une ville que d'aucuns n'hésitent pas à qualifiée de "dévastée", sans avoir peur du poids des mots. Qu'est-ce qui a déclenché cette violence ? Il y avait-il vraiment des "blacks blocs venus de l'étranger" face aux policiers ? Les manifestants condamnent-ils unanimement les dégradations urbaines ? Je n'étais pas à Nantes samedi. Je connais bien la ville, sa géographie, son histoire sociale. Je m'intéresse de près à l'affaire Notre-Dame-des-Landes et j'ai eu envie de savoir ce qui s'est déroulé. Il s'agit d'une démarche à l'origine personnelle, dont les témoignages reccueillis relèvent, je le crois, de l'intérêt général.

Cinq témoignages pour éclairer

J'ai demandé à cinq personnes en qui j'ai confiance et qui manifestaient à Nantes de me raconter ce qu'elles ont vu et ressenti. Je les ai prévenues que je publierai ici leur point de vue. Ce sont donc cinq vérités que je vous livre. Elles se recoupent souvent dans la description et s'opposent parfois frontalement dans l'interprétation des violences. Je suis convaincu que dans un conflit social, toutes les paroles méritent d'être entendues. Vous, lecteurs, n'êtes pas dénués d'esprit critique. C'est en toute conscience que j'ai décidé de publier le témoignage brut d'un manifestant qui a pris part aux violences, parce que je le crois aussi sincère que les autres. Sans volonté de légitimer cette parole, mais sans vouloir la discréditer a priori. Il ne s'agit pas de l'aboutissement d'une enquête. Tous ces témoignages en constituent plutôt la fondation. Ils complètent le film de la journée tourné et monté sans commentaire par Gaspard Glanz pour Rennes TV.

Félix - Bandeau Nantes NDDL - La DéviationMaxence - Bandeau Nantes NDDL - La DéviationRaphaël - Bandeau Nantes NDDL - La DéviationSéverine - Bandeau Nantes NDDL - La DéviationClément - Bandeau Nantes NDDL - La Déviation

Félix*, 21 ans, journaliste

Qu'est-ce qui t'a poussé à participer à la manifestation ? Comme tous les manifestants qui étaient réunis à Nantes, je suis contre ce nouvel aéroport de Nantes. Tous les arguments sont connus (coût exorbitant, inutilité du projet, sacrifice de nouvelles terres agricoles...). Je ne défilais pas seulement contre cet aéroport, mais contre toute l'idéologie qui le sous-tend. On n'a pas forcément l'occasion de défiler tous les quatre matins pour défendre sa vision de la société, alors quand l'occasion se présente j'essaye de ne pas la rater. Vu qu'un mouvement s'est aggloméré autour du rejet de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, je trouvais normal d'aller défiler à Nantes. En plus, je rejoignais pas mal d'ami(e)s et quelques personnes de ma famille. Donc niveau ambiance j'y allais vraiment sereinement. J'avais déjà participé au grand rassemblement de novembre 2012, où tout s'était bien passé. Il n'y avait aucune raison que ça tourne mal. Je ne pouvais même pas imaginer qu'il y ait le moindre problème. D'ailleurs je suis arrivé la veille en covoiturage à Nantes, et j'ai été surpris par le nombre de CRS qu'il y avait déjà dans les rues. Le jour même, je suis arrivé vers 12 h 15 au niveau de la préfecture, où le départ de la manifestation était prévu. Et c'était très détendu comme ambiance. Quelques camions décorés étaient sur place, des gens se glissaient des branches d'arbres dans les cheveux, il y avait des déguisements d'animaux un peu partout, la sono crachait le son habituel des manifestations. Menu- Manifestation Nantes NDDL 22 février 2014 - Pierre-Alain Dorange - La Déviation Quelques personnes faisaient les marioles avec les quelques dizaines de CRS massés devant la préfecture : "Eh les CRS, si vous êtes pour l'aéroport, levez la main !" Évidemment ça a fait rire tout le monde. Vers 13 h, la place de la préfecture était loin d'être remplie. Tous les bus étaient en retard et les gens venus en voiture se garaient super loin pour avoir de la place. Et puis d'un coup il y a eu des manifestants à débarquer de tous les coins de la ville. J'ai essayé de rejoindre mon oncle qui m'a prévenu qu'il était sur place : - Salut, je suis enfin arrivé, je suis à côté des girafes. - Moi à côté du triton géant. Tu le vois ? - D'accord juste à côté y'a le flamant rose. Je suis à ses pieds maintenant.

Les rumeurs parlaient d'un cortège de plus de 3 km pour un parcours de 1,4 km.

Sans s'en apercevoir, le cortège s'était mis en route, mais la place se remplissait à mesure que le défilé avançait. C'est là qu'on s'est rendu compte de l'ampleur de la manifestation. Les rumeurs parlaient d'un cortège de plus de 3 km pour un parcours de 1,4 km. Il y avait des déguisements partout. On voyait bien quelques tags mais rien de très gros. Après je suis passé devant le local de Vinci. Évidemment, les vitres étaient cassées. J'ai trouvé ça bête de la part de Vinci d'avoir laissé visible ses logos et insignes. On est passé devant les premiers CRS qui bloquaient l'entrée de l'hyper-centre. Certains étaient recouverts de farine. Vers 15 h, j'avais toujours pas retrouvé une partie de mes potes. Du coup j'ai coupé à partir du château des Ducs de Bretagne direction le Gaumont. Je suis passé devant un nouvel attroupement de CRS. Là y'avait des clowns désobéissants qui imitaient les forces de l'ordre avec des grands gestes et des sifflets. Effet réussi, ça m'a bien fait rire de voir le contraste entre ces robocops surarmés bloquant l'accès à une manifestation de tritons colorés. Et puis 50 m plus loin nouvel attroupement de CRS. Là, les manifestants tambourinaient contre les barricades. C'était vers 15 h 30. C'est là que les affrontements ont débuté quelques dizaines de minutes plus tard. Après, je suis resté pas loin du Gaumont. J'ai rencontré plein de connaissances. Et là, on a entendu les premières explosions. Des tirs de lacrymos et de canons à eau. On a mis du temps à réaliser. On y prêtait pas attention ça paraissait surréaliste et très insignifiant par rapport à l'attroupement impressionnant sur la place du Commerce. Beaucoup de gens s'approchaient raisonnablement pour voir ce qui se passait. Et puis là les lacrymos ont commençé à être lancées de plus en plus loin. Rue Jean Jacques Rousseau police contre Nantais - Manifestation 22 février 2014 Nantes NDDL - Crédits Sébastien Hermann - La Déviation J'en ai eu un peu dans les yeux et je me suis écarté. Je suis allé voir des gens sur le petit parc un peu plus loin sur la place. Des chorales improvisées organisaient des chants avec des pupitres en hauteur. Les gens tapaient dans leurs mains tandis que les explosions arrivaient à contre-temps. On a appris qu'un petit chalet avait été brûlé. La fumée de lacrymo continuaient d'avancer doucement mais sûrement. Pendant ce temps je buvais un jus de pomme délicieux vendu en prix libre à un petit stand improvisé. À ce moment-là j'avais finalement décidé de rester le soir à Nantes. Apparemment il y avait des concerts de prévu le soir. Ça s'annonçait sympa Ceux qui étaient venus en bus sont partis vers les 17 h.

On voyait des mecs revenir avec des faces ensanglantées.

La place a commencé à se désencombrer. Et on a senti une poussée plus rapide des forces de l'ordre. Je suis allé prendre une bière au bar La Trinquette sur la place du Commerce. Et puis là on a tous été pris de court. Les lacrymos commençaient à s'approcher vraiment vite. On voyait des mecs revenir avec des faces ensanglantées. Un gars a jeté un flashball à mes pieds. Il y a eu des mouvements de foule. Les lacrymos ont envahi la place du Commerce. Même pas le temps de finir mon verre, on a reçu des lacrymos à un mètre de nous. On hallucinait. On était encore loin ! Il y avait des gosses à côté de nous. Tout le monde faisait la fête à ce moment-là ! On a couru pour éviter les gaz. Tout le monde était paumé. On savait pas trop par où aller. On est remonté sur la place Graslin. Il y avait des camions de CRS qui stationnaient. On entendait des explosions dans nos pas. Il y avait des mouvements de foule dans tous les sens. Des Nantais étaient rattrapés par la manifestation. Félix-Manifestation-Nantes-NDDL-22-février-2014-Crédits-Sébastien-Hermann-La-Déviation Là j'ai flippé un peu. Deux minutes plus tard, alors qu'on cherchait par où partir, on a vu cinq CRS nous charger en courant ! C'est super impressionnant ! On a tracé le plus vite possible. Ils se sont arrêtés sur la place et nous on ne décrochait plus de nos téléphones pour retrouver nos proches. On s'est écarté un peu, et petit à petit on a retrouvé une ville plus sereine. Mais on n'en revenait vraiment pas ! Après la manifestations je suis rentré chez mon pote j'ai rencontré un mec avec la cheville en sang. Il rentrait chez sa sœur et s'est pris un tir de flashball. Le lendemain il a été aux urgences. Et si ce mec-là est un casseur alors nous sommes tous des terroristes, parce-que c'est un pacifiste comme on en trouve pas souvent. Pourtant il boîte encore aujourd'hui. Quelle est ton opinion sur le dispositif policier ? Pas très impressionnant au niveau de la préfecture. Mais c'était très étrange de voir l'hyper-centre bloqué à la manifestation par des barrages de CRS. Rue-Kervégan-Manifestation-22-février-2014-Nantes-NDDL-Crédits-Sébastien-Hermann-La-Déviation Quelle est ton opinion sur les affrontements ? Profondément désespérante. Entre 50.000 et 60.000 personnes se sont retrouvées à Nantes pour dire non à un projet d'aéroport et dire ensemble leur envie de porter un autre modèle de société et puis tout ça est éclipsé par des violences entre quelques manifestants et CRS. C'est surtout la proportion que ça a pris qui m'a surpris. Il y avait pas plus de 200 mecs à provoquer les militaires et on se retrouve avec de la casse dans les rues de Nantes.

Je crois que les moyens de la gendarmerie et des manifestants violents sont très loin d'être comparables.

Soit les CRS sont vraiment incompétents soit ils espéraient précisément que la manifestation prenne cette direction. Quand j'ai entendu a posteriori des déclarations estimant que ces fameux blacks blocs sont très organisés, et cetera, et cetera... Il faut pas exagérer. Il y avait des mecs des renseignements généraux sur tous les appartements qui surplombaient la place. L'hélicoptère de la gendarmerie est resté en survol au-dessus des heurts tout au long de la journée. La préfecture avait tous les éléments pour gérer au mieux cette manifestation. Je crois que les moyens de la gendarmerie et des manifestants violents sont très loin d'être comparables. Bref, gros regrets que ces violences aient éclipsé le reste. Déçu du comportement de ces provocateurs, de toute cette casse, mais scandalisé par la puissance de feu déployée par les CRS. Et puis, ces violences, je crois que le gouvernement les espéraient en quelque sorte. Ça permet de décrédibiliser le mouvement et de retourner les habitants contre les anti-aéroports. NB : Côté manifestants on n'est pas resté les bras ballants non plus, certaines personnes s'interposaient et empêchaient qu'il y ait de la casse. * Le nom a été modifié. Les liens hypertextes et exergues ont été ajoutés par l'éditeur. Les photos sont de Sébastien Hermann (Flickr, CC) et Pierre-Alain Dorange (Flickr, CC).

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Maxence*, étudiant, 23 ans

Qu'est-ce qui t'a poussé à participer à la manifestation ? Pour soutenir les paysans, et parce que le projet est, de toute façon, la promesse d'un désastre écologique et d'un gaspillage économique. Dans quel état d'esprit t'y es-tu rendu ? Détendu, ça faisait longtemps que je n'avais pas fait de manif. Mes jambes avaient d'ailleurs oublié l'effet qu'elles font... Qui étaient les participants autour de toi, l'ambiance du défilé, les slogans entendus... ? Les organisateurs avaient voulu une manifestation pacifique, festive et familiale, et c'est effectivement ce qu'il y a eu. Une troupe de clowns pastichait le projet (« Non à l'aéroport, Oui au spatioport ... »), quelques policiers sur le chemin, plutôt souriants ceux-ci, mais pas de heurts majeurs. Les slogans étaient classiques, « Non à l'aéroport ! », « Zone à Défendre », plus amusant aussi un « On lâchera rien ! » (vu la récupération du verbe qu'a fait la « Manif' pour Tous »...). Une fois arrivés sur le parking de la Petite Hollande et autour du square Daviais, les manifestants s'arrêtaient et pour la plupart, partageaient boissons (alcoolisées ou non) et sandwichs avec les autres, une sorte de pique-nique citadin en somme. Quel parcours as-tu suivi dans Nantes, de quelle heure à quelle heure ? Je suis arrivé vers 14 h 30, j'ai pris le cortège à Hôtel-Dieu. J'ai appris, le lendemain seulement, qu'il avait commencé à 50 Otages et que des heurts avaient déjà eu lieu là bas. On a filé vers l'île de Nantes, contourné le tribunal (il était bloqué, lui aussi, par des camions de CRS), traversé le pont Anne-de-Bretagne pour rejoindre Commerce. Il était environ 16 h quand je suis arrivé sur le cours Franklin Roosevelt (le carrefour des lignes de tram). Maxence - Manifestation Nantes NDDL 22 février 2014 - La Déviation À quel moment as-tu remarqué des affrontements ? J'ai remarqué les affrontements dès que je suis arrivé sur le Cours. Je voyais déjà les canons à eau tirer de loin. En s'approchant, on a senti les relents de lacrymogène dans l'air, mélangés à l'eau et il n'a pas fallu longtemps pour qu'on entende les premières grenades assourdissantes.

Jamais le centre de Nantes n'avait été bloqué pour une manifestation. Même les plus pacifistes en étaient frustrés.

Est-ce que tu le pressentais ? Évidemment, c'était une évidence. Jamais le centre de Nantes n'avait été bloqué pour une manifestation. Même les plus pacifistes en étaient frustrés, et vu l'ampleur de la manifestation les casseurs allaient évidemment en profiter pour faire ce qu'ils préfèrent. Où étais-tu pendant que ça bardait ? J'étais, en plein cœur du feu, c'est le cas de le dire. J'ai commencé par aller prendre en photo le dispositif (très exceptionnel) mis en place par la police. Très foucaldien par ailleurs, pour le citer, il ne servait qu'à « surveiller et punir », très dictatorial. Peux-tu décrire les affrontements ? J'ai su après que les premiers heurts à Commerce avaient commencé assez tranquillement. Les tracteurs s'étaient postés devant le mur de plexiglas monté pour l'occasion et des manifestants tapaient dessus. Leur seul objectif ? Faire du bruit. S'ils avaient voulu casser, ils leur suffisait d'aligner les tracteurs et de charger ; les forces de l'ordre auraient eu bien du mal à tenir le choc. Or, ces derniers, plutôt que de rester tranquille, ont allumé les canons à eau et lancé les premières grenades lacrymogènes, une réaction plus que disproportionnée ! Illustration affrontement - Manifestation 22 février 2014 Nantes NDDL - La Déviation Par la suite sont arrivés ce qui pourrait ressembler à des « militants anarchistes », même si je répugne à employer le mot, pour les avoir entendu, je doute qu'ils en sachent beaucoup sur l'anarchie (les tracteurs postés devant les forces de l'ordre avaient déjà reculé, ils ne voulaient probablement pas qu'on les mêlent aux violences). Probablement la frange dure du mouvement (ceux qui ont tenu pendant des mois le terrain à défendre...), ils étaient là pour « casser du flic ». Ils ont traditionnellement déterré les pavés et commencé à bombarder les miliciens en armure. Ce ne sont pas ici des casseurs pas essence, l'utilité de la violence dans les mouvements contestataires est un autre débat. Mais ils ont rapidement été rejoints par des casseurs, qui avaient ramené marteaux, merlins, masques à gaz, voire scies. Ils ont, eux, commencé à démolir les vitrines. Les militants (les vrais) ont commencé à leur crier d'arrêter car ils décrédibilisaient le mouvement, mais ils n'ont fait que casser plus. Ils ont saccagé la boutique de la Tan (Transport de l'agglomération nantaise, NDLR) et lancé le mobilier sur les policiers (accompagnés, notons-le, de gendarmes, une belle preuve de coopération inter-services...). Mais ils avaient des armes, étaient clairement violents, j'ai entendu distinctement l'un d'eux dire « on s'en fout, nous, de l'aéroport ! On est là pour casser ! ».

Contrairement à ce qu'a dit Manuel Valls, les casseurs n'étaient sûrement pas 1.000. [Plutôt] entre 200 et 300.

À ce moment-là, je tiens à préciser quelque chose : contrairement à ce qu'à dit Manuel Valls, ils n'étaient sûrement pas 1.000. On s'approche bien plus du nombre qu'a évoqué Françoise Verchère (conseillère générale PG, opposée au projet d'aéroport, NDLR) sur BFM TV (pourtant rarement du côté « gaucho »), entre 200 et 300 casseurs. Illustration affrontement Nantes - La Déviation Les incendies ont commencé à prendre de l’ampleur (des structures qu'on croyait en acier étaient en fait majoritairement faites de bois). Pourtant, les forces de l'ordre, qui disposaient de puissants canons à eau, n'ont pas cru bon de sortir pour aller éteindre le feu. Pendant plus d'une heure et demie, ils sont restés derrière leur mur, à lancer de l'eau et des grenades lacrymogènes sur la FOULE, foule qui contenait enfants et personnes âgées, puisque la manifestation se devait d'être familiale...

Avec des murailles montées sur les axes principaux pour empêcher la manifestation de passer, le résultat était prévisible.

Les casseurs ont continué à briser des vitrines et à incendier des poubelles. Vers 18 h, les CRS ont fini par réussir à les arrêter. La foule s'est dissipée. Toute circulation, même piétonne, a été interdite ce samedi soir dans le centre de Nantes. Quelle est ton opinion sur le dispositif policier  ? Le dispositif était de très loin disproportionné par rapport à une manifestation qui se promettait d'être violente. On n'a pas affaire ici à de la protection de biens et de personnes, mais bien à de la provocation. La mise en état de siège d'une ville pour mettre en colère sa population est une technique vieille comme la guerre (Sun Tzu en parlait déjà...). C'est clairement ce que j'ai vu. Avec des murailles montées sur les axes principaux pour empêcher la manifestation de passer, le résultat était prévisible : les plus hargneux étaient bloqués dans une nasse entre les CRS, et le reste de la manifestation, elle, pacifique. Dans une manifestation standard, les casseurs sont rapidement dispersés sur les côtés et attrapés par petits groupes par la police. Ici, il avaient tout le loisir de s'organiser, puisqu'ils restaient au même endroit, et, tels de petits poteaux obéissants, police et gendarmerie ne bougeaient pas pour les arrêter. Y a t-il besoin de rappeler qu'ils sont ici pour défendre la population, manifestants compris ? Illustration saccage - Manifestation 22 février 2014 Nantes NDDL - La Déviation J'ai vu des blessés chez les manifestants, que les médias n'ont pas rapporté (je me fiche des blessés chez les anti-émeutiers, ça fait parti de leur travail, soyons réaliste). Des policiers de toute la France ont été appelés pour cette manifestation, c'était une exagération évidente du risque, alors qu'en novembre 2012, une manifestation déjà de grande ampleur, n'avait pas fait plus de violence qu'à l'accoutumée (le dispositif était le même que d'habitude...). Je ne sais pas si les casseurs ont été poussés par des « policiers infiltrés », je ne suis ni médium, ni au Siècle (club de réflexion parisien, NDLR), mais la provocation du ministère de l'Intérieur était là, sans aucun doute. Quelle est ton opinion sur les affrontements ? Je suis au premier abord contre la violence (comme je crois tout être humain moderne et sensé qui a retenu l'Histoire...). Mais il faut se rendre à l'évidence, contre un gouvernement de plus en plus autoritaire (c'est d'autant plus dur à admettre lorsque le gouvernement est dit socialiste), il faut commencer à se poser la question de la légitimité de la violence face à des forces de l'ordre qui ne remplissent plus l'un de leur premier devoir : se poser la question de la légitimité des ordres qu'ils reçoivent par rapport aux valeurs qu'ils portent.

Il faut néanmoins faire une différence entre les saccages et la lutte contre l'autoritarisme.

Le film Insurgence qui nous plonge au cœur des manifestations étudiantes québecoises de l'hiver dernier en est une preuve : face à des policiers clairement violents, on se demande si le pacifisme suffit encore... Il faut néanmoins faire une différence entre les saccages et la lutte contre l'autoritarisme, je peux être pour le catapultage de pavés, mais je serai toujours contre la dévastation gratuite des biens publics (reconstruit grâce aux impôts par ailleurs). Il y a sept ans, un lycéen perdait son œil parce qu'un milicien zélé avait tiré au flash-ball dans le visage plutôt que dans les jambes. La police n'a écopé de rien, la famille est aujourd'hui en cours de cassation... Que faire contre un gouvernement qui ne punit plus la barbarie dans ses propres rangs ? * Le nom a été modifié. Les liens hypertextes et exergues ont été ajoutés par l'éditeur. Les photos ont été prises par l'auteur de ces lignes.

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Raphaël, 22 ans, photoreporter

À 15h, j'ai pris le défilé par la fin et suis remonté petit à petit. L'arrière-garde était bon enfant, des drapeaux EELV se mêlaient aux tracteurs et aux chars décorés, venus de tout le grand Ouest, une part prépondérante de Bretons. Quelques bars mobiles égayaient les mines réjouies, des vieux, des enfants, de jeunes, des hippies, des rouges, un joyeux mélange d'écolos farfelus, de paysans bien du cru. Tractobar - Manifestation Nantes NDDL 22 février 2014 - Crédits Rafael Manzanas - La Déviation Dans une incompréhension générale, brûle une forreuse d'un chantier proche. Le danger se fait sentir, l'ambiance monte et se fait de plus en plus lourde. Aux abords de Commerce, je cours en tête : l'ambiance s'est très nettement détériorée. La manif qui devait remonter jusqu'au 50 Otages, par le boulevard du même nom pour rejoindre la préfecture a été bloquée. La préfecture avait, la veille, refusé le parcours qui avait été donné par les organisateurs et transmis aux médias.

Pacifiquement, au début, des manifestants se sont approchés pour peindre et graffer des slogans sur les barrières.

Coupant les boulevards longeant cette artère commerciale, se dressaient sur le parcours officiel pas moins de quatre camions de CRS en première ligne, équipés de grilles anti-émeutes et de canons à eau. À l'arrière, un important contingent de gendarmes mobiles se tenait en alerte. Pacifiquement, au début, des manifestants se sont approchés pour peindre et graffer des slogans sur les barrières et les murs des commerces alentours. Dans l'excitation, commencent déjà des altercations, jets de peinture sur le cordon, insultes, bagarre mais la ligne tient bon. Dispersions au jet d'eau , à la lacrymo, ensuite l'escalade est inévitable : des bouteilles, des pierres, des pavés, des panneaux sont lancés. Raphaël - Manifestation Nantes NDDL 22 février 2014 - Crédits Rafael Manzanas - La Déviation En réplique, les gendarmes envoient plus de lacrymos et surtout des grenades assourdissantes ou encore des tirs de flashball sur les personnes essayant d'atteindre les flans de la ligne de front. Certaines de ces grenades assourdissantes étaient en "tir tendu", normalement proscris pour ce type de munitions. Dans le même temps derrière des poubelles, à plat ventre, deux hommes cagoulés lancent des feux d’artifice en direction des policiers, tir tendu aussi. L'usage des grenades lacrymogène s'est fait dans une quantité et une confusion telle, que toute l'esplanade devant les barrières, bien qu'ouverte aux quatre vents était totalement gazée, refluant jusque dans les quartiers, tellement l'intensité des tirs étaient soutenue.

Un maximum de cinq personnes s'est mis à saccager des abrisbus et les locaux de la régie de transport.

Vers 16 h, la pression sur Commerce diminue sensiblement. Le gros des manifestants a glissé le long des quais vers le point de rassemblement prévu par l'organisation. À Commerce, sur le reculoire et dans la confusion des gaz, un maximum de cinq personnes s'est mis à saccager des abribus et les locaux de la régie de transport. Certains éclataient les vitres avec des grilles d'arbres pendant que d'autres continuaient à arracher les pavés du tramway au marteau et au burin. Les pavés volent un moment et à 16 h 30, je décide d'évacuer Commerce, les gaz étant insoutenables. Manifestant en noir - Manifestation Nantes NDDL 22 février 2014 - Crédits Rafael Manzanas - La Déviation Je ne reviens dans la manif que vers 18 h 30, là où je l'avais laissée, sur le parking de la Médiathèque , un grand espace vide en bord de Loire. Une ligne serrée de quatre-cinq camions se relayent et coupent la place en deux, avec près de 600 à 800 individus au milieu. En avant de ce groupe, 30 personnes continuent à se relayer pour les jets de pavés. Ceux restés à l'arrière du groupe demandent de cesser les jets.

J'estimerais à 2 km² la zone qui a été totalement gazée pour la dispersion de 600 à 800 personnes.

Quarante-cinq à soixante minutes s'écoulent dans cette situation de maîtrise de la foule, seule une ligne de dix arrosés continuent d'affronter les canons. Vers 19 h 30, le dispositif policier se retire dans un nuage de gaz sans précédent. J'estimerais à 2 km² la zone qui a été totalement gazée pour la dispersion de 600 à 800 personnes. De plus, les vents étaient contraires aux policiers ce qui a eu pour effet de disperser les gaz dans leur direction et celle du centre-ville, qu'ils protégeaient. Sur cette journée, mon avis est que le dispositif policier mis en place ce 22 février à Nantes était en disproportion par rapport à l'annonce des organisateurs et le trajet requis. Le fait que la préfecture ait refusé le parcours, la veille même, alors que celui-ci avait été communiqué à la presse, a renforcé le côté provocation des forces de police. Les barrières ont attisé la tension parmi les manifestants et les gaz et canons à eau utilisés, en réponse aux projectiles lancés n'ont fait qu'attiser les tensions. Le gouvernement a aussi renforcé ce rendez-vous violent par l'effet d'annonces successives d'envoi de forces policières. Tout le monde s'attendait à des violences, elles ont eu lieu, elles auraient pu être évitées, par le déroulement initial de la manif. Les liens hypertextes et exergues ont été ajoutés par l'éditeur. Les photos ont été prises par l'auteur de ces lignes.

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Séverine*, 24 ans, étudiante

Qu'est-ce qui t'a poussé à participer à la manifestation ? Il allait de soi que j'allais m'y rendre en tant que nantaise opposée à la construction de cet aéroport, et à l'évacuation & la destruction de la Zad ! Dans quel état d'esprit t'y es-tu rendue ? Je suis venue avec la certitude de revoir plein de monde, de vivre une manif pleine de créativité et de passer des moments fraternels, qui soudent les gens dans un combat commun - un combat presque gagné, je le crois ! Comme beaucoup, j'avais en tête la grande et longue manif du 24 mars 2012, cours des 50 Otages, qui nous a tous tellement marquée. Je m'attendais donc à revivre quelque chose de comparable, qui mette la patate pour des semaines ! Qui étaient les participants autour de toi, l'ambiance du défilé, les slogans entendus... ? Comme prévu, j'ai croisé beaucoup de têtes connues, des jeunes, des moins jeunes, des couples d'amis avec leurs enfants, des encartés et des anars, des militants historiques et des Nantais dont c'était la première manif, mais aussi des gens qui venaient de plus loin. Je n'ai vu aucun des responsables politiques qui étaient là. Pancartes - Manifestation 22 février 2014 Nantes NDDL - Crédits Pierre-Alain Dorange - La Déviation Ma fille ne sachant pas encore marcher, et vu l'ampleur attendue de la manif, j'ai préféré pour une fois ne pas l'emmener, histoire de ne pas me coltiner la poussette et d'être plus libre de mes mouvements, aller discuter avec les uns et les autres, aller voir au-devant ce qu'il se passe...

J'ai aperçu des gens sortir de l'agence Vinci avec une plante verte qu'ils avaient "libérée", ça m'a fait rire. J'étais étonnée qu'on ait pu s'y introduire.

J'ai regardé passer les tracteurs en imaginant l'étonnement des automobilistes, le magnifique char salamandre, les banderoles accrochées aux immeubles, les collages, les pochoirs et les graffs... en défilant rue de Strasbourg, j'ai aperçu des gens sortir de l'agence Vinci avec une plante verte qu'ils avaient "libérée", ça m'a fait rire. J'étais étonnée qu'on ait pu s'y introduire, au vu du dispositif policier devant le local du PS, le matin. J'ai ensuite vu, de loin, un engin de chantier brûler dans le square Mercoeur, qui connaît lui aussi un "réaménagement" organisé par Vinci, et qui avait vu condamner des zadistes perchés dans ses arbres en 2011. Par moments, on entendait surtout la batucada et les différentes fanfares présentes, les slogans les plus scandés étaient les traditionnels "Vinci, dégage, résistance et sabotage", "P comme pourri et S comme salaud", "non, non, non à l'aéroport". On m'a distribué différents tracts, dont un inventaire des espèces menacées, répertoriées par les naturalistes en lutte et un autre encourageant à "adopter un sous-traitant" de la multinationale Vinci. Beaucoup de gens proposaient des journaux indépendants. Quel parcours as-tu suivi dans Nantes, de quelle heure à quelle heure ? J'ai suivi le parcours prévu, on m'a raconté assez tard que certains s'étaient rabattus vers le sud. Je me suis beaucoup déplacée pour saluer des amis, avant de rejoindre les banderoles anticapitalistes. À mon arrivée devant le cours des 50 Otages, je crois que la queue de cortège venait de commencer à défiler. J'étais sur le trottoir d'en face (devant la pizzeria) donc à, au moins, une cinquantaine de mètres des grilles. Tracteur - Manifestation 22 février 2014 Nantes NDDL - Crédits Pierre-Alain Dorange - La Déviation À quel moment ont commencé les affrontements ? C'est à ce moment-là, quand nous sommes arrivés devant le Cours, que les autorités ont préventivement actionné leurs canons à eau avec lesquels ils diffusaient des gaz lacrymogènes (1). L'espace entre la grille placée à Commerce, au début du cours - derrière laquelle ils semblaient se tenir en masse - et l'endroit où je me tenais s'est vidé d'un coup.

Je me suis alors retrouvée en première ligne sans même le savoir quand ils ont envoyé les premières grenades.

Moi qui m'étais retournée, le visage dans le foulard en soie d'une copine, je me suis alors retrouvée en première ligne sans même le savoir quand ils ont envoyé les premières grenades. À croire qu'au bout d'à peine une heure, la manifestation, qui regroupait plusieurs dizaines de milliers de personnes, était censée se terminer, selon le préfet. Je n'avais jamais vu ça à Nantes. Est-ce prévu/prévisible, prémédité ? Si des affrontements avec la police en marge ou en fin de manifestations s'étaient déjà vus, personne ne pouvait s'attendre à ce qu'il s'est passé. Pour reprendre les termes d'une copine, à partir de ce moment-là, on a vécu une véritable "émeute familiale" qui a duré plusieurs heures. Les gens de tout âge qui étaient venus du fait que la manif se voulait populaire, familiale... ont été tellement excédés par l'interdiction des trois-quarts du parcours et par la répression qu'ils ont choisi de résister, de rester face à la police, parfois en première ligne (auprès des clowns qui ont été formidables). Commerce-Manifestation-22-février-2014-Nantes-NDDL-Crédits-Sébastien-Hermann-La-Déviation J'ai encore du mal à comprendre la stratégie policière de ce samedi, mais je pense que, côté manifestant, même les plus rodés et préparés à la répression ne s'attendaient pas à ça. Très peu avaient de quoi répondre aux tirs de grenade et de flashball, et parmi ceux-là encore, la plupart se servaient de ce qu'ils trouvaient dans leur environnement immédiat (canettes, plus tard pavés, mobilier) ou renvoyaient directement les grenades de l'envoyeur. Comme je n'ai vu personne envoyer de cocktail molotov ou toute autre chose qui j'imagine se préparent plutôt à l'avance, je ne pense pas que la tournure des événements ait réellement été préméditée par les manifestants. Où étais-tu pendant que ça bardait et peux-tu décrire les affrontements ? Comme je le disais plus haut, j'étais d'abord sur le trottoir en face des grilles. Je me suis placée ensuite un peu plus loin des lacrymos sur la rue Duguay-Trouin. J'étais un peu plus près, cour Flanklin Roosevelt, quand le feu s'est répandu dans les cabanes de la Semitan. Des gens racontaient autour de moi que ça aurait pu être dangereux, et qu'il aurait été plus malin de se concentrer sur le commissariat. Quelqu'un derrière moi a brisé une vitrine. Au bout d'un moment, les affrontements se sont en partie déportés sur le square Fleuriot (la place avec la fontaine près de la place Commerce). Après la manif, des proches m'ont raconté qu'ils y avaient été bloqués.

Des gens avaient dressé une barricade et dépavaient la rue parallèle au même moment.

Je suis ensuite allée voir ce qu'il se passait de l'autre côté de la rue, en passant par la place de la Petite Hollande. L'ambiance était toujours à la fête. Je me suis approché des pelouses du quai Turrenne et j'ai vu les canons à eau qui avançaient. J'ai aussi vu un blessé, le visage ensanglanté. Des gens avaient dressé une barricade et dépavaient la rue parallèle au même moment. Les corps de police (gendarmes mobiles, CRS, Compagnie départementale d'intervention et d'autres que je n'ai pas reconnus - on m'a dit des Équipes régionales d'intervention et de sécurité) tentaient encore de nous faire reculer. On se demandait s'ils allaient nous éloigner comme ça jusqu'à Atlantis. Quai-Turenne-canon-à-eau-blindé-Manifestation-22-février-2014-Nantes-NDDL-Crédits-Sébastien-Hermann Ils nous lançaient des grenades comme si leurs munitions étaient illimitées, et je regardais sans cesse en l'air, de peur de ne pas les voir arriver et d'être touché par des éclats. Je les voyais tomber sur des gens devant moi, parfois derrière moi.

Un ami a été blessé par un tir de flashball.

La stratégie des policiers avec les grenades semblait consister à les lancer le plus loin possible, pour que ceux à l'avant ne puissent pas reculer. Ceux à l'arrière étaient donc, finalement, les premiers touchés. J'ai d'ailleurs été impressionnée de la distance (peut-être 250 m) à laquelle elles pouvaient être envoyées. Un ami a été blessé par un tir de flashball (à l'aine), j'ai vu de nombreuses blessures, mais je ne crois pas avoir vu de balle sur l'instant. Il était parfois difficile de distinguer ce qui arrivait, de plus les nuages de lacrymo recouvraient tout. Souvent, avec des amies, on courrait, les yeux fermés, en se tenant les mains les unes les autres. Jusqu'à ce que ça passe et que ça recommence, un peu plus loin. On voulait rester, le plus possible. Ils ont réussi à nous repousser comme ça, petit à petit, vers le square Daviais, jusqu'au bout du parking de la Petite Hollande. Parfois, eux aussi reculaient, et les clowns lançaient "on a gagné !". Quand je suis partie peu après 18 h 30, il y avait encore beaucoup de monde sur le parking, et j'ai croisé un homme avec un bandeau ensanglanté sur son œil. Quelle est ton opinion sur le dispositif policier (par rapport à d'habitude) ? Je n'ai personnellement jamais vu un tel dispositif sur Nantes, ni même ailleurs (y compris sur le contre-G20 de Nice...) : toutes les forces de police et de gendarmerie possibles et imaginables étaient présentes. De plus, le stock de munitions devait être affolant. Séverine-Manifestation-Nantes-NDDL-22-février-2014-Crédits-Sébastien-Hermann-La-Déviation Concernant les blessés, l'équipe médic fait état de treize blessés par flashball au visage, je crois qu'on tient là un triste record français, Outre-Mer compris. C'est une chance qu'il n'y ait pas eu de mort ! Aussi, j'aimerais que les médias, si prompts à chiffrer la casse, n'oublient pas de faire le décompte de l'intégralité des coûts liés à la répression. Quelle est ton opinion sur les affrontements ? J'ai été agréablement surprise par la compréhension dont faisaient preuve les gens de tout âge envers ceux qui allaient au-devant la police : il y avait un esprit unitaire, car nous étions tous attaqués et si, bien sûr, tout le monde n'allait pas au charbon (loin de là, notamment moi-même !) tout le monde, sur place, semblait comprendre la légitimité de se défendre... cela contraste d'ailleurs avec les réactions des non-manifestants, le lendemain. *Le nom a été modifié. Les liens hypertextes et exergues ont été ajoutés par l'éditeur. Les photos sont de Sébastien Hermann (Flickr, CC) et Pierre-Alain Dorange (Flickr, CC) (1) L'ajout de gaz lacrymogène dans l'eau projetée par les canons est possible. Cependant, leur emploi à Nantes est soumis à controverse.

Félix - Bandeau Nantes NDDL - La DéviationMaxence - Bandeau Nantes NDDL - La DéviationRaphaël - Bandeau Nantes NDDL - La DéviationClément - Bandeau Nantes NDDL - La DéviationMenu - Bandeau Nantes NDDL - La Déviation

Clément*, 23 ans, père au foyer

J'ai participé à la manif car je suis opposé au projet d'aéroport depuis plusieurs années maintenant, mais aussi contre le système capitaliste qui construit cet aéroport, c'est pour ça que j'ai rejoint les rangs du cortège anticapitaliste/anti-autoritaire. J'avais apporté quelques fumigènes avec moi, ça met toujours de l'ambiance en manif. Je n'étais pas « venu pour en découdre » absolument comme disent certains, mais j'avais préparé un masque à gaz - ce que je n'ai pas regretté par la suite - dans l'éventualité de possibles affrontements, auxquels j'avais prévu de participer, s'ils avaient lieu. La situation s'était tendue deux jours plus tôt, lorsque la préfecture a interdit l'hypercentre à la manifestation, et je me doutais que les choses risquaient de s'envenimer. L'ambiance dans le cortège anticapitaliste était radicale, mais bon enfant, malgré l'important dispositif policier déployé autour de nous. On a pu entendre le célèbre « Vinci, dégage, résistance et sabotage », mais aussi d'autres slogans tels que « le capitalisme, ça crée des emplois, dans les aéroports, et les commissariats » et bien sûr, les « police partout justice nulle part » ou autres « flics porcs, assassins » ont commencé à fuser quand, après à peine 100 m de cortège, les CRS exhibaient leurs canons à eau. Le ton de la journée était donné. Ce que j'ai trouvé étrange, c'est que par rapport au 24 mars 2012, où les forces de police étaient déjà déployées en nombre (1.200), mais en quantité inférieure à samedi, ni la mairie (qui était même lors de cette manif protégée par des agents du Raid (1) pistolet-mitrailleurs à la main), ni l'agence Vinci Immobilier n'étaient protégées. Signalisation - Manifestation Nantes NDDL 22 février 2014 - Crédits Rafael Manzanas - La Déviation La police nous a donc laissés le champ libre pour les dégrader. Arrivés au bout de la rue de Strasbourg, on aperçoit une foreuse du chantier Vinci de réaménagement du square Mercoeur en feu, les gens applaudissent chaudement. On se dirige vers l'Hôtel-Dieu, à hauteur duquel le commissariat Olivier de Clisson, vide, est copieusement peinturluré.

D'énormes grilles de trois-qiatre mètres de haut sont érigées sur toute la largeur du cours, protégeant ce qui ressemble à ce moment-là à un ghetto de riches.

Certains tentent de s'en prendre à la grille métallique qui protègent l'entrée, puis allument un feu devant. Encore une fois, tout le monde applaudit (et pas que des gens en noir cagoulé, non non, des gens lambdas). Surtout qu'on vient d'apercevoir ce qui nous attendait sur le cours des 50 Otages. Commissariat police - Manifestation 22 février 2014 Nantes NDDL - Crédits Sébastien Hermann - La Déviation D'énormes grilles de trois-qiatre mètres de haut sont érigées sur toute la largeur du cours, protégeant ce qui ressemble à ce moment-là à un ghetto de riches, avec ses magasins de luxe, ses banques, agences immobilières qui vendent des apparts qu'on ne pourra jamais se payer dans des immeubles bien propres, ses permanences électorales. Bref, les flics protègent un tas de choses tout à fait désagréables à mes yeux en plus d'appliquer une décision inédite à Nantes qui constitue un affront politique et moral énorme. Bien que la colère gronde, tout est encore calme, pas pour longtemps étant donné que les flics ont décidé d'ouvrir les festivités en tirant des grenades lacrymogènes, et ce alors que la foule est hétérogène, il y a aussi bien ceux qui prendront part par la suite aux affrontements, que des familles avec leurs enfants - qui au passage risquent bien de se souvenir de ce premier rapport avec la police française, et pas positivement -, des personnes âgées, etc. Les keufs ont fait exprès pour énerver tout le monde. Dans la foulée je mets mon masque à gaz - un masque complet -, je ne sentirai l'odeur des lacrymogènes que quelques fois dans l'après-midi, lorsque je l’enlèverai pour fumer des clopes. Grand bien m'a fait de l'apporter, car par moment l'air autour de moi semblait être totalement irrespirable, même si pour moi cela ressemblait plus à des fumigènes qu'à autre chose. J'ai appris après que les canons à eau balançaient aussi un mélange d'eau et de substance lacrymogène (2), sans plus grand effet sur moi que brouiller ma vision à cause des gouttes d'eau sur ma visière. C'est alors que vont commencer les affrontements. On commence à leur envoyer des fumigènes, des bouteilles, des cailloux, leur renvoyer les palets lacrymogènes - qui sortent par six des grenades - qu'ils nous envoient. Les tracteurs qui s'étaient positionnés en face du mur anti-émeute se retirent, et selon les moments, ça chauffe plus ou moins. D'ailleurs ce sont les CRS qui se chargent d'entretenir la révolte, en envoyant de temps en temps de grosses salves de lacrymos.

Je sais pas où ils sont allés chercher leurs black-blocs allemands, sûrement une hallucination collective.

Pendant ce temps-là on commence à (re)prendre possession de la ville, qui est pour beaucoup de gens la nôtre, contrairement à ce que voudraient faire croire Valls, Ayrault, Rimbert et leur clique. Je sais pas où ils sont allés chercher leurs black-blocs allemands, sûrement une hallucination collective. Tan Commerce - Manifestation 22 février 2014 Nantes NDDL - Crédits Sébastien Hermann - La Déviation On commence par s'étaler sur la partie est de l'île Feydeau, qui se situe non loin de la place Bouffay, dont la rénovation permet maintenant d'entasser une bonne quinzaine de camions de gendarmes mobiles (GM). Très pratique. Le mobilier urbain commence à être utilisé stratégiquement. Une premiere barricade est érigée rue du Bon Secours pour prévenir une attaque de bacqueux et de GM. Dès lors, en plus des lacrymos, les flics vont tirer à coup de flashball et de lanceurs de balles de défense de 40 mm (LBD40, un flashball amélioré et très précis, classé parmi les armes de guerre) (3). Des dizaines de personnes seront contusionnées par ces armes dans la journée, dont treize à la tête, un manifestant, qui en plus ne prenait pas part aux heurts, a perdu l'usage de son œil suite à un de ces tirs. C'est à ce moment-là, face à l'augmentation du nombre de blessés que les gens se sont réellement énervés.  Tram-commerce-Manifestation-22-février-2014-Nantes-NDDL-Crédits-Sébastien-Hermann-La-Déviation L'espace Tan a été saccagé, l'espèce d'office du tourisme de la Loire-Atlantique également, et les affrontements se sont étendus au square Fleuriot, ça dépavait le tram dans tous les sens. Puis les locaux de la station de tramway ont été incendiés. Les gens étaient vraiment en colère. Le fait que les combats se soient déplacés a fait faiblir la résistance autour de la rue du Bon Secours et a permis aux flics de reprendre cette zone, et par la même occasion de se mettre en ligne au niveau de la ligne 2 du tram, et d'amener les canons à eau au niveau de la place Alexis-Ricordeau, créant une nouvelle zone d'affrontements au niveau de l'esplanade gazonnée en face du CHU (sympa le déluge de lacrymo à 50 m d'un hôpital). La rue Kervegan a alors été barricadée en son point central, au croisement avec la rue Du Guesclin, notamment à l'aide des pavés composant la rue. Dans cette rue étroite et ses bâtiments anciens, ça donnait vraiment un air de Commune de Paris. Rue Kervégan baricades - Manifestation 22 février 2014 Nantes NDDL - Crédits Sébastien Hermann - La Déviation Du coté de l'esplanade, ça se mettait maintenant à tirer des lacrymogènes en tir tendu, ce qui est parfaitement proscrit par le règlement policier. Les grenades envoyées par le lanceur Cougar font environ 25 cm de long et sont en plastique rigide. Autant dire qu'ils auraient pu tuer quelqu'un. Un copain en a vu passer une à dix centimètres de sa tête, il a eu chaud. J'ai oublié de préciser que depuis le début, les flics balançaient des grenades assourdissantes, ou de désencerclement. Ces grenades, en plus de produire un bruit dépassant le seuil de la douleur, contiennent six morceaux de caoutchouc. Mais la charge explosive est elle contenue dans un réceptacle en métal, qui projette des éclats en explosant.

Un éclat a touché le type à côté de moi. On a vu le sang qui pissait littéralement, on a eu très très peur.

Une de ces grenades est tombée à deux mètres devant moi, et en explosant, un éclat à touché le type à côté de moi. Il s'est prostré, se tenait la tête, et là, avec trois autres personnes, on a vu le sang qui pissait littéralement, on a eu très très peur. On l'a porté jusqu'au CHU où il à été pris en charge. Il a eu de la chance, c'était seulement l'arcade sourcilière de touchée, mais un centimètre plus bas, on comptait un œil crevé de plus. Une autre grenade a explosé à mes pieds au niveau du square Fleuriot, effet : surdité pendant trois minutes avec acouphène, déstabilisation, je ne me suis pas évanoui, mais c'est possible avec ce genre d'armes. Plus tard dans la soirée, une de ces grenades est tombée et a explosé dans le keffieh d'un pote, il a eu 20 points de sutures au crâne, et les médecins lui ont dit qu'il avait vraiment de la chance, il aurait pu y passer. Entre Royal et Commerce - Manifestation 22 février 2014 Nantes NDDL - Crédits Sébastien Hermann - La Déviation Plus le temps passait, plus on entendait crier : « MÉDIC ! », pour appeler les équipes médicales qui s'étaient préparées à ce qu'il y ait des blessés. Ces équipes étaient composées je pense, pour la plupart, de zadistes. Puis, vers 17 h 30 je dirais (pas évident, j'avais pas de montre, et je n'ai pas de téléphone portable, outil de surveillance par excellence), les flics ont décidé de charger, ils ont déversé une pluie torrentielle de gaz lacrymogènes en prenant soin de tirer le plus loin possible pour toucher aussi ceux qui étaient en arrière, et pour rendre le repli plus compliqué.

Je commençais à penser qu'ils allaient boucler la zone, et embarquer des centaines de personnes dans des bus.

On a aussi vu des trucs vraiment hallucinants à partir de là. Il y avait des hommes du GIPN - Groupement d'intervention de la police nationale, unité d'élite intervenant dans les prises d'otages ou autres situations extrêmes -, mais aussi des Éris - Équipes régionales d'intervention et de sécurité - qui ne sont pas sous les ordres du ministère de l'Intérieur mais de la justice, car ils sont censés n'intervenir que dans les prisons (4). Nantes, une grande prison à ciel ouvert ? On était en droit de commencer à se le demander, car ils semblaient nous encercler de plus en plus, nous n'étions plus que quelques milliers sur place, et je commençais à penser qu'ils allaient boucler la zone, et embarquer des centaines de personnes dans des bus (ça s'est déjà vu). Clément - Manifestation Nantes NDDL 22 février 2014 - Crédits Rafael Manzanas - La Déviation On se situait alors aux niveau de la place de la Petite Hollande. J'ai décidé de partir, parce qu'à titre personnel, ça commençait à craindre. Ayant déjà un casier rempli pour cause de militantisme, j'ai préféré ne pas tenter le diable. Je croise alors un pote qui me dit qu'il a sa voiture garée un peu plus loin. J'attends d'être hors de vue de l'hélico qui nous survole depuis le début avec sa caméra surpuissante (capable depuis ses 300 m de haut de lire la marque de tes lunettes), j’enlève mon masque, mon pull et mes gants, les mets dans un sac, et on s'en va. Sans problème. Je n'avais jamais vu un tel dispositif policier de mes yeux, ni un tel déferlement de violence de leur part. Tout ce qui s'est passé est à mettre à leur compte, c'était complètement disproportionné. Ils auraient laissé défiler le cortège, il y aurait certainement eu un peu de casse, symbolique, mais certainement pas autant. Ils ont blessé une centaine de personnes, dont certaines gravement, voire mutilées à vie comme Quentin, dont c'était l'anniversaire. On leur a bien rendu la pareille (dix hospitalisés, 120 contusionnés) et je m'en félicite.

Un grand moment de révolte populaire, notamment avec des jeunes des quartiers populaires périphériques de la ville venus nous prêter main forte.

Malgré tout, c'était rigolo, et c'était un grand moment de révolte populaire, notamment avec des jeunes des quartiers populaires périphériques de la ville venus nous prêter main forte. Ils s'en foutaient peut être de l'aéroport, mais quand on dit qu'on est contre « l'aéroport et son monde », on doit comprendre que c'est ce même monde qui leur impose quotidiennement des vexations, que c'est cette même police qui les harcèle en bas de leurs tours, et que leur colère est aussi légitime que la nôtre. Enfin, c'était la plus grande manifestation contre l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes jamais vue, et on leur a montré qu'on était capable de leur résister, et qu'en cas de nouvelle intervention sur la Zad, la résistance serait féroce. Bon rétablissement aux camarades blessés ! Solidarité avec les douze inculpés, qui ont pris pour certains jusqu'à six mois ferme, avec la révocation d'un sursis de six mois. * Le nom a été modifié. Les liens hypertextes et exergues ont été ajoutés par l'éditeur. Les photos sont de Rafael Manzanas, Sébastien Hermann (Flickr, CC) et Pierre-Alain Dorange (Flickr, CC) (1) (2) (3) (4) L'usage de grenades de désencerclement (DBD) est relaté par Gaspard Glanz, journaliste de Rennes TV, qui a été blessé aux jambes par des éclats et a décidé de porter plainte.

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